Accueil > Le magazine > Disques Retour
L’âge de raison
Pour la sortie de leur quatrième album, Julie et Jean-François (Yelle) nous ont conviés à une séance d’écoute chez eux. C’est donc au jardin, avec un thé à la main qu’on a découvert L’Ere du Verseau et les 10 titres qui le composent par une brumeuse matinée de septembre.
Avant de commencer l’écoute, j’aimerais évoquer le titre du disque qui est très différent des précédents (Pop-up, Safari Disco Club, Complètement fou) et semble plus grave ou en tout cas planter une sorte de décor pour l’album. C’est assez inédit pour Yelle, non ?
Oui, c’est vrai. Ce titre est tiré d’une discussion que j’ai eue avec un praticien en médecine chinoise qui m’expliquait que l’époque que nous vivons, assez dure, fondée sur une hiérarchie pyramidale dans nos sociétés, assez autoritaire et basée sur des rapports de force, était appelée l’ère du Poisson en astrologie. Chaque ère est supposée durer environ 2 000 ans et celle qui nous attend, dans près de 100 ans, sera celle du Verseau et sera caractérisée par des rapports plus doux, plus horizontaux et moins conflictuels. Nous avons trouvé cette vision hyper intéressante et ça a assez vite fait sens pour nous de l’adopter comme titre d’album car on avait envie de donner un cadre mental à ce disque.
Emancipense
C’est un titre très représentatif de notre musique avec deux faces qui apparaissent en simultané, comme danser en pensant ou pleurer en dansant. C’est un bon morceau d’introduction d’album que nous avons mis du temps à finaliser et qu’on a débloqué grâce à Voyou et Tepr qui ont collaboré à son écriture musicale.
J’veux un chien
Pour J’veux un chien, nous avons tourné un clip assez érotique, sur le fil, et très français finalement. Un ami américain m’a récemment dit qu’aux USA ce genre de chanson (ou de clip) n’existait pas. Soit ils sont dans le romantisme à outrance, soit ils sont dans l’imagerie porno. Il n’y a pas de juste milieu. Dans J’veux un chien, d’un mot à l’autre on peut passer d’un sens à un autre. Certains vont le prendre pour un morceau ultra féministe et d’autres très machiste ! Quand je dis « prend-moi bien » c’est une façon pour moi d’évoquer la possibilité d’assumer une envie, une sexualité, de dire « c’est mon choix, ma liberté ».
Je t’aime encore
Il était évident pour nous de sortir Je t’aime encore très vite, car il raconte tellement de choses ! Il raconte notre relation faite de hauts et de bas avec la France, le fait qu’on défend cette langue, qu’on l’adore, qu’on l’exporte et que parfois, c’est vrai, il y a pu avoir des incompréhensions avec le public français. Mais c’est comme ça ; comme dans une relation d’amour, on avance ensemble.
Karaté
C’est un titre qu’on a commencé à écrire il y déjà longtemps. On avait cette ligne de voix un peu kan ha diskan futuriste, ultra répétitive et efficace. Mais à chaque fois qu’on tentait d’étoffer, ça ne fonctionnait pas. On avait vraiment envie encore et encore d’entendre cette phrase en boucle, comme quand tu écoutes du rap, que t’adores une punchline et que tu n’as envie que d’une chose, c’est de la réentendre encore et encore ! Peut-être qu’on va trop loin quand on parle de « breton du turfu » à propos de ce titre et que ça va faire bondir, mais voilà, c’est ce qu’on avait en tête en écrivant le morceau.
Menu du jour
Menu du jour est venu de manière très spontanée ! On écoutait une base d’instru que Voyou nous avait envoyé et ce truc de Menu du jour est venu immédiatement et a fini par s’imposer. Il fait partie de ces morceaux comme Chimie physique (sur Complètement fou, ndlr) dont le titre et ce qu’il nous évoque suffit à susciter l’écriture du reste du morceau. Là, on avait envie d’une chanson qui dit « allez, aujourd’hui je suis d’humeur à tomber amoureuse », qui invite à un lâcher-prise.
Mon beau chagrin
C’est une adaptation d’un titre de Tony Hymas Pictures of departure qu’on a découvert en écoutant une compilation appelée Deviant pop from Europe chez Julien Tiné dans son magasin Musique à Saint-Brieuc. On en a fait une reproduction moderne et réécrit totalement les paroles en voulant évoquer ces moments de tournée où tu es complètement paumé à l’aéroport, entre deux dates… On ne s’en était pas aperçu au départ mais a posteriori, il résonne un peu en écho à Je t’aime encore.
Vue d’en face
Nous avons co-écrit le texte de ce morceau avec Voyou et quand il m’a demandé ce que je voulais raconter avec ce titre, je lui ai confié que depuis que je suis petite j’aime bien me faire un instantané de ce qu’il se passe à l’intérieur des maisons à travers les fenêtres puis imaginer la vie des gens qui y vivent. C’est très fascinant quand on tourne en Scandinavie, car là-bas les maisons n’ont pas de rideaux, ni de volets et le soir, quand les fenêtres sont illuminées, c’est hyper beau. D’un autre côté, c’est aussi un titre qui interroge notre rapport aux autres et notre pratique des réseaux sociaux ; ce que l’on laisse y paraître, comment on y dévoile ou pas nos vies…
Noir
Par le public ou mon entourage je suis souvent vue comme toujours souriante, dynamique, à l’écoute des autres et disponible etc. C’est vrai, mais Noir raconte une face cachée qu’on peut résumer comme l’écrit PNL par « j’mens quand j’dis ça va ». Alors oui, il y a ce refrain qui laisse penser que c’est simplement une chanson sur le fait de sortir, de choisir sa tenue, mais derrière, l’histoire raconte une vie lisse qui part en vrille quand ça ne va pas. C’est la face noire d’une Yelle qui n’est pas toujours aussi colorée qu’on le pense. Comme tout le monde finalement.
Peine de mort
Ce morceau a été le point de départ de l’album quand on s’est décidé à le composer. On a demandé à quelques amis musiciens et compositeurs de nous envoyer des petits bouts de titres, des suites d’accords pour voir ce qu’on pouvait commencer à écrire. Autour d’une de ces harmonies, on a posé un refrain, puis articulé une structure et l’écriture est venue ensuite après le décès de mon papa (François Budet, ndlr). Le titre n’évoque pas spécifiquement sa personne mais prend le point de vue de celui qui n’est plus-là et observe l’autre, celui qui reste, continuer sa vie. C’est une chanson que j’aime voir comme positive car elle se place du point de vue de celui qui voit la vie se poursuivre !
Un million
On peut voir Un million comme une profonde introspection, le récit d’un regard que l’on pose sur ce que l’on a fait de sa vie à un moment donné, ce que l’on n’a pas fait, pourquoi… Un peu comme si au lieu de rester focus sur ce que l’on pense être, on dézoomait en regardant notre vie de loin en osant se poser des questions. Comment avancer malgré nos peurs etc. C’est un questionnement qui est lié à l’âge. A 25 ans on est assez sûr de ses envies, de ses goûts, de ce que l’on aime ou déteste. Avec le temps qui passe on s’ouvre un peu plus, on vit des épreuves qui modifient ce regard et poussent à une remise en question. Un million, c’est tout ça à la fois.
En concert le 31 octobre à a Nouvelle-Vague, St-Malo
Lire notre chronique de l’album l’Ere du Verseau
Photo © Jerome Lobato