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Festivals, quels modèles pour l’avenir ?
17 mars 2020. Scotchés à nos téléphones, nous suivons en direct l’ahurissante annonce du confinement total qui s’apprête à entrer en vigueur pour une durée indéterminée. Incrédules, certains filent au café du coin savourer un dernier demi quand d’autres, encore plus incrédules, continuent de se claquer la bise comme un défi à une situation irréelle digne d’un film de science-fiction. Ce jour-là, personne ne s’imagine encore que - presque - plus une seule note de musique ne sera jouée sur scène pendant des mois et que - presque - aucun festival n’aura lieu l’été suivant. De ce traumatisme collectif qui a enrayé la belle mécanique de l’industrie musicale, découlent encore aujourd’hui de nombreuses conséquences qui impactent le secteur des grands rassemblements musicaux. N’échappant pas à la règle, les festivals de notre territoire semblent cette année plus que jamais en pleine période de mutation, de questionnement. Modèle économique en tension, préoccupations environnementales croissantes, inflation des cachets d’artistes, crise du pouvoir d’achat des festivaliers et stagnation des contributions des collectivités locales posent l’équation d’un sujet passionnant : quel sera le festival de demain ? Éléments de réponses en compagnie de huit programmateurs et directeurs de festivals de notre territoire.
Ils ont été les premiers à dégainer. Les premiers à annoncer un profond changement de modèle. À l’automne dernier, les morlaisiens de Wart annonçaient fièrement faire de Panoramas le premier festival en décroissance. Plus écolo, moins gros, moins gourmand en termes budgétaires ; qu’est-ce qui a donc guidé le plus dingo des festivals électro de l’ouest à choisir cette drôle d’option ? « On s’est aperçu sur les dernières éditions que même si nous avions des chiffres de remplissage plutôt bons, cela ne suffisait plus à obtenir un budget à l’équilibre », explique Eddy Pierres de l’Association Wart. La faute à des coûts de production en forte hausse, en somme. Un son de cloche identique qui se fait entendre du côté des briochins d’Art Rock qui fêtent cette année leurs 40 ans et pointent l’inflation des cachets. « Les coûts des plateaux ont vraiment connu une augmentation très importante, complète Carol Meyer, directrice. C’est une hausse constante que nous ne pouvons répercuter sur les billets ». D’où la nécessité de faire bouger les lignes, d’activer un levier pour rééquilibrer l’équation. « Nous avions le choix entre déménager pour devenir encore plus gros, poursuit Eddy Pierres, et potentiellement accroître les recettes ou repenser le modèle pour proposer une alternative plus en accord avec les problématiques de développement durable. »
Argent trop cher
Passer à la vitesse supérieure, c’est le choix vers lequel a été poussé le Motocultor Festival par la municipalité de Saint-Nolff qui souhaitait désormais voir ce rendez-vous des métalleux du grand-ouest réduire sa voilure pour rester sur sa commune, en revenant à une édition de trois jours au lieu des quatre qui étaient instaurés. « Il est impossible pour un festival de réduire d’une journée une fois que l’on est passé à quatre. La journée supplémentaire permet de réaliser des économies d’échelles et d’absorber des coûts qui maintiennent le budget. En arrivant à Carhaix, on préserve l’envergure du festival, on propose un site mieux adapté aux festivaliers, pour une expérience du Motocultor encore meilleure qu’à Saint-Nolff », résume Yann Le Baraillec, directeur de Motocultor Fest Prod. Entre grandir ou jouer la sobriété, le Binic Folks Blues Festival a choisi le retour aux sources tout en repensant son modèle économique, puisqu’il revient cette année en plein centre de Binic dans une version payante. « Nous avons fait le choix de structurer le festival et avons désormais deux salariés qui nous permettent une meilleure organisation, une présence tout au long de l’année à travers plusieurs évènements. Cela a un coût et, l’entrée payante a minima - 10 €/jour - permet de sécuriser cette professionnalisation », explique Sabine Fourmeaux présidente de la Nef D Fous. Un moyen de générer des recettes certes, mais qui a ses limites pour les festivals dont les entrées sont déjà payantes et les jauges poussées au maximum. À ce titre, Carol Meyer rappelle : « Art Rock est un festival de centre-ville et ne peut accueillir plus de festivaliers qu’il ne le fait déjà. On ne peut donc espérer gagner sur les recettes en augmentant le nombre de billets vendus. » Quant à augmenter fortement le prix des tickets, tous s’y refusent. « Le coût de la vie est devenu insupportable, complète Samuel Burlot de Carnavalorock, on ne peut pas se permettre d’augmenter sans cesse le prix des entrées ou du bar, alors que les salaires des festivaliers stagnent ! ». Comme ses camarades, Carnavalorock parvient tout juste à l’équilibre SI le remplissage des soirées pointe à 100%, SI les apports des collectivités sont maintenus et SI le bar tourne à plein régime. Une somme d’hypothèses fragiles qui traduisent des modèles économiques en forte tension, des curseurs extrêmement délicats à manier et surtout des marges de manœuvre presque inexistantes… Pour autant, côté « ferveur », tout se passe dans le meilleur des mondes. L’après-Covid a sonné le retour devant les scènes d’un public nombreux, enthousiaste et ravi de renouer avec la musique live et ces temps de bonheur suspendus qu’incarnent les festivals. Une envie aussi présente chez les organisateurs, puisque plusieurs nouveaux festivals voient le jour cette année sur notre territoire. C’est le cas du Kreiz Y Fest à Glomel porté par Music-Air Productions (partenaires de l’Attrap’Sons de Châtelaudren) et du Kerwax Festival adossé au studio éponyme. Tous deux lancent en mai leurs premières éditions avec envie et enthousiasme. Trait commun ? L’accueil des municipalités « À Glomel, nous avons été tout de suite soutenus par l’équipe municipale qui avait envie d’un évènement culturel à cette période », explique Gaël Duro pour le Kreiz Y Fest. Un ressenti identique salué par Christophe Chavanon du côté de Loguivy-Plougras et du Kerwax Festival : « Tout le village est derrière nous ! L’enjeu étant pour cette première édition de maintenir un budget en accord avec nos envies ». Pour Jean-Philippe Mauras, directeur artistique du vénérable Festival Interceltique de Lorient (52 ans d’existence !), l’essentiel pour pérenniser le modèle du festival est de « toujours être en évolution, miser sur l’intergénérationnel, construire un festival pour tous, populaire et singulier. C’est la singularité que recherche le public, ce qu’il vient chercher à l’Interceltique, il ne le retrouve pas ailleurs : la durée du festival, son ancrage dans la ville, l’ouverture sur le monde. Tout ça c’est l’identité de notre festival et sa force ». Se recentrer sur ses points forts et marqueurs de singularité serait donc un début de solution pour conserver et développer son public ?
La vérité est ailleurs ?
Si du côté des productions les calculettes tournent à plein régime, côté programmation certains tentent un pas de côté totalement hors des clous misant sur l’enthousiasme du public et son envie de vivre des moments à part. C’est le pari du festival de Bobital qui programme le vendredi une inédite soirée « Bobital Déraille » en partenariat avec le Poupet Festival, détenteur du concept. L’idée ? Une programmation ringardorégressive totalement assumée (sosie de Cloclo, vieilles gloires r’n’b 90’s, pot-pourri de boys band, zouk du samedi soir, chansons à boire et queleuleu en pagaille) pendant 6 heures nonstop dans une ambiance cotillons et apocalypse de déguisements bananes. « Les ventes des places du samedi et du dimanche étaient assez bonnes depuis plusieurs semaines grâce aux têtes d’affiches comme Angèle, Roméo Elvis et Vladimir Cauchemar, mais quand on a annoncé Bobital Déraille, ça a clairement fait effet boule de neige ! », admet Quentin Mercier, chargé de production. Depuis, Bobital affiche fièrement son COMPLET et attend avec impatience des festivaliers qui n’auront jamais aussi bien porté leur nom… La solution serait-elle donc à rechercher dans l’exceptionnel, la surprise et l’inédit ? Possiblement, comme en témoigne l’excitation que suscite la Birthday Party organisée par Art Rock en closing de cette édition anniversaire à la salle de Robien : « C’est assez dingue, on va faire complet, sans que personne ne sache qui va jouer ! », s’amuse Carol Meyer. Peut-être un début de réflexion à creuser pour imaginer les festivals de demain…
On change une équipe qui gagne
Quelles que soient leurs esthétiques, modèles économiques, leur histoire ou leur bassin géographique, tous sont attachés aux enjeux sociaux, d’égalité hommes/femmes et ont largement intégré ces politiques dans leurs équipes internes, leur recrutement de bénévoles et poussent pour que cela se traduise aussi sur les plateaux avec une parité parfaite. « Au conseil d’administration nous sommes parvenus à la parité, se réjouit Sabine Fourmeaux de la Nef D Fous qui pilote le Binic Folks Blues Festival de Binic, nous avons un partenariat avec l’Orange Bleue, un collectif rennais en charge de la formation de nos bénévoles sur le sujet des violences sexistes en milieu festif et comment intervenir, prévenir ; nous mettons en place une safe-zone avec des équipes volantes de bénévoles qui vont patrouiller sur le site ». Et si personne ne sait encore à quoi ressembleront vraiment les festivals de demain, tous se démènent pour en faire des lieux sûrs, ouverts et respectueux de l’environnement : exit les gobelets jetables, bonjour le compost, les toilettes sèches et les incitations aux développements doux. Une prise de conscience qui a un revers car « faire écolo, rappelle Carol Meyer, ça coûte plus cher. » Un prix que tous sont prêts à payer pour accroître la fameuse « expérience festival ». « Cette année on va faire un effort sur la restauration, pour proposer plus de diversité, plus de produits locaux », explique Yann Le Baraillec pour le Motocultor. « Il faut quand même se souvenir d’une époque où cette dimension n’existait pas dans nos festivals, rappelle JeanPhilippe Mauras de l’Interceltique. Si aujourd’hui proposer des produits locaux en accord avec nos valeurs semble une évidence, il y a 40 ans c’était tout simplement impossible ! ». Un coup d’œil dans le rétro salvateur qui illustre le chemin parcouru sur tous ces sujets et montre que questionnements et transformation des modèles, au-delà d’être une réaction à une problématique économique, sont probablement la clé de la pérennité des festivals de notre territoire.
- Marc Aumont