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Carte blanche à Flici

30 novembre 2015

Ce que nous disent les livres anciens

Carte blanche à Flici


Un, parmi des milliers d’autres.


Celui-ci est né à Lyon, il y a cinq siècles, des mots et des pas d’un Arabe andalou, dont on dirait un jour qu’il serait le premier à avoir raconté l’Afrique. Il porte les marques d’une longue vie. Il a vu passer des rois, des empereurs. Il a poussé et fait pousser les frontières du monde, enterré tous ses possesseurs jusqu’à devenir un jour le bien commun, prenant place en bibliothèque. A son côté, d’autres comme lui. Depuis ce jour, bien avant l’Internet, le bruissement du Monde résonne à Saint-Brieuc.

Mais ce qu’il a à nous dire dépasse les mots de son auteur. Sa chair parle. Voyez cette balafre taillée dans le parchemin. Quelqu’un, vers 1789, a tenté d’arracher à la reliure les armes d’une noblesse fleurdelisée, pour en effacer la mémoire, et peut-être en gratter l’or : qu’en avait-on à faire en ces temps troublés, d’un livre sur la lointaine Afrique ?
Sauf que ce "Quelqu’un" a retenu son geste.
A-t-il été arrêté ? Ou s’est-il convaincu lui-même que quelque-chose de plus fort que l’instant présent résidait dans ces pages ?


Historial description de l’Afrique, tierce partie du monde, par Wazzan al-Zayyati, al-Hasan ibn Muhammad al-Fasi, dit Léon l’Africain
Lyon, 1556 (détail de la reliure)


Ce geste retenu dit tout de ces livres, qui souvent appellent l’indifférence, quand ils n’ont pas le bonheur d’une beauté insigne. Ils seraient trop vieux, trop tranquilles, trop volumineux, trop abstraits, ou simplement trop sales ou trop fragiles. Et puis encore, en ces temps de crise, qu’en a-t-on à faire de ce livre sur les oiseaux du Tonkin de 1850 ? De ce recueil de poésie serbe de 1920 ? De cette vie de sainte d’on-ne-sait-même- pas-quand ? De ce traité de Cabale du XVIIe annoté en hébreu ? Et puis du livre de ce jeune artiste, là, dont on ne comprend rien au travail de toute façon ?


Certains d’entre eux peuvent en attester, pourtant, qui ont survécu aux guerres, aux révolutions, à tous les bûchers, aux édits, aux censures et - plus dangereux que tout ! - aux modes du temps : quand l’indifférence à ce qui n’est pas le présent s’installe, la mémoire la plus fragile, la plus ancienne ou la plus impertinente est questionnée (ce qui est logique), fustigée, ou pire. Il ne s’agit pas de simplement détruire l’Histoire. Mais aussi d’en rogner les "imperfections", les "sinuosités", les "accidents". Ces livres qui nous semblent ici et maintenant inutiles, anodins (rien de plus dur à bien conserver qu’un petit livre des années 2 000 !), étranges et étrangers, permettent de démontrer qu’une identité lisse, linéaire et monolithique ne peut tout simplement pas exister.


Pour saisir cela, pour comprendre l’enjeu d’un tel héritage, il n’est pas nécessaire de savoir le grec d’Aristote, le Breton du XVIIIe siècle, ou de maîtriser l’histoire de l’estampe. Posés l’un sur l’autre, ces livres s’élèveraient comme une cathédrale et on peut penser que personne, alors, ne se poserait la question de leur existence, de savoir s’il nous faut les conserver ou pas. On peut donc les voir ainsi. Ils sont monument. Ils sont les briques d’un mur immense et bariolé, les mille voix dissonantes d’une barrière d’airain contre le flux brûlant du consommé et de l’oubli. Leur ciment est le plus solide qui soit. Un ciment de gestes retenus : ceux d’une communauté qui, génération après génération, protège et donne droit de Cité, par sa bibliothèque, à ce qui n’est pas seulement elle.


Arnaud Flici


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Les Bibliothèques de Saint-Brieuc conservent plusieurs milliers de documents patrimoniaux dont les plus anciens datent du XIIe siècle. D’abord centrée sur les manuscrits et les imprimés anciens, la politique de conservation et d’acquisition s’est élargie depuis les années 1980 aux littératures vivantes de Bretagne, aux archives littéraires du XXe siècle (fonds Louis Guilloux) ainsi qu’à la création bibliophilique vivante via l’achat continu de livres d’artistes, souvent en lien avec les créateurs. Plus récemment, la bande dessinée et l’histoire du cinéma dans les Côtes-d’Armor se sont imposées comme des orientations thématiques pertinentes.
Ouverte à la consultation et régulièrement valorisée, cette collection répercute et participe à une histoire culturelle du territoire largement en prise avec le monde contemporain.


Chaque mois, le pôle Patrimoine des Bibliothèques (Arnaud Flici et Anne-Laure Diguet) propose un rendez-vous intitulé Rencontres du 3e livre : un temps de partage autour de documents rares, précieux ou insolites puisés dans les collections patrimoniales.

Le samedi 5 décembre 2015 sera autour du thème de l’Orient : une sélection de documents proposée et commentée, entre histoire et vision fantasmée. Où il sera question, entre autres, de mages chaldéens, de princes turcs, de sorciers chinois, de poésies et de voyages... RDV à 11h à la bibliothèque Albert-Camus.

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