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Carte blanche à Steeve Lannuzel
La Matière noire. Dans le nouvel album des Craftmen Club, le co-fondateur du groupe livre des textes en français.
« Par le passé j’étais sincère tout en me cachant, maintenant je ne me cache plus » Nick Cave
Dans l’éclat infini d’une nuit profonde ou dans le grain d’une photo argentique, dans les mots de Jacques Brel et dans la voix de Nick Cave, le noir pour moi a toujours été une source d’inspiration, une matière intarissable, mystérieuse et remplie de contradictions. Elle enveloppe les étoiles, nous laisse espérer et deviner l’au-delà ; ou bien elle nous envahit de terreur.
La matière noire est partout dans notre nouvel album, Colores. Elle y coule comme un fleuve agité. Mais les couleurs aussi y sont présentes. Le noir n’est jamais noir, il est plein de nuances, de contrastes, d’éclat, il laisse apparaître l’aube et l’espoir, l’espoir pour nous de rester toujours sincère et de ne jamais se cacher, comme sur ces quatre visages aux traits tirés par le temps, figés sur la pochette du disque.
Il nous aura fallu quatre années pour venir à bout de cet album, quatre années de doutes et de remises en question, avec une volonté farouche de faire quelque chose de nouveau. D’expérimenter et de découvrir d’autres horizons avec tous les risques que cela comporte.
Je voulais parler d’amour ! Prononcer ce mot dans ma langue, parler d’un ami parti, de mes doutes, de mes peurs. Il fallait sculpter cette matière, lui donner vie, oublier le refuge de l’anglais, attendre d’être prêt ! Et trouver la brèche pour s’y engouffrer et s’y perdre volontairement.
Le Seigneur des porcheries
C’est avec le réalisateur et ami Gabriel Barry que nous avons choisi de travailler pour cet album - un personnage étrange tout droit sorti du roman de Tristan Egolf, Le Seigneur des porcheries. C’est un peu notre George Martin, il a su devenir un membre à part entière du groupe, bruyant ou discret allant jusqu’à se faire oublier, attentif pour chacun. Même quand tout devenait chaotique, quand dans les esprits surgissait le doute, et que les tensions prenaient le dessus, il avait toujours les mots.
Nous nous sommes enfermés dans un gîte loin de chez nous dans le Berry, sur les terres de Gabriel, directement dans la gueule du loup !
Nous nous sommes laissés guider, le laissant déstructurer et transformer nos titres sous nos yeux inquiets.
J’admire sa patience et sa détermination de tous les jours qui nous ont poussés à aller jusqu’au bout. Nous ne le remercierons jamais assez d’avoir accepté la réalisation de cet album. Sans lui, il n’aurait sûrement jamais vu le jour... ou sous une autre forme, plus attendue je pense.
La route est encore longue
C’est avec ces paroles que s’ouvre l’album, une longue traversée dans la nuit, une route vers l’inconnu, droite et hostile, qui nous rappelle que rien n’est jamais acquis dans cette quête sans fin qui nous anime et nous pousse toujours à avancer, quitte parfois à s’y noyer.
Nous sommes fiers de cet album qui nous a fait grandir, nous a fait nous découvrir un peu plus. Il nous laisse un sentiment de fierté, celui d’avoir été au bout des choses.
Pour ma part, j’ai réussi à surmonter mes craintes, celles d’écrire en français. J’ai appris à me livrer encore un peu plus, j’ai oublié les jugements et le regard des autres. Pour moi, c’est une victoire personnelle ! Maintenant c’est une nouvelle route qui s’ouvre devant nous, incertaine et glissante aussi, mais passionnante.
Allons-nous vers l’ombre ou y a-t-il quelque chose de lumineux au bout de la route ?
Plus j’avance et plus j’y crois.
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Steeve Lannuzel est compositeur, chanteur, guitariste et co-fondateur de The Craftmen Club. Le groupe de rock guingampais sort son quatrième album avec, c’est une première, une majorité de titres en français.
Lire la chronique de l’album Colores
En concert à la Citrouille le samedi 16 décembre 2018 (places à gagner).
Toute les dates de la tournée sur www.thecraftmenclub.com